39-45 « Le moment était venu de me sauver… »

Je suis né en novembre 1922, et j’appartenais donc à une classe d’âge qui devait partir en Allemagne pour le Service du Travail Obligatoire (STO)*.

A l’époque, j’étais détaché du chantier de jeunesse de Cormatin en Saône-et-Loire au service de boulangerie des Ministères à Vichy.
Un jour du mois de mai 1943, mon copain Toto Michalet qui était resté à Cormatin m’adresse une lettre par laquelle il m’apprend qu’une note informant des prochains départs pour l’Allemagne était affichée au camp, et que mon nom figurait sur la liste.

Ayant déjà eu l’idée de me sauver des chantiers de jeunesse à plusieurs reprises pour intégrer le maquis, je me suis dit que c’était le moment de le faire.

Je savais parfaitement que je risquais gros si je me faisais prendre…
Je devenais réfractaire au STO, donc hors-la-loi !

J’ai commencé à réfléchir à la façon dont j’allais m’y prendre. On était six ouvriers par four à pain et il y avait deux fours. Je décidai de ne rien dire aux autres, par crainte qu’il y en ait un qui parle.

En principe, on travaillait chaque jour jusqu’à 13h00 et
après le repas, on avait quartier libre. L’après-midi, je ne suis pas sorti avec les copains, comme je le faisais
d’habitude. J’ai prétexté que je ne me sentais pas bien.

Une fois seul, j’ai préparé mon sac à dos que j’ai planqué sous mon lit. Puis j’ai attendu tranquillement.
Le soir, je suis sorti discrètement du camp et je me suis rendu à la gare.

J’ai alors demandé un billet pour Lyon car je voulais rentrer chez moi à Uffel. La guichetière a demandé à voir ma permission qu’elle devait tamponner. Comme je ne pouvais pas produire de permission, elle a refusé de me délivrer un billet car les Allemands faisaient beaucoup de contrôles.

Elle m’a conseillé de chercher le train qui allait sur Lyon, de monter à l’intérieur et de me signaler au contrôleur. Elle devait savoir qu’il était favorable à la Résistance. J’ai donc suivi ses conseils.

Une fois dans le train, j’ai expliqué au contrôleur où je voulais aller. Il m’a dit qu’il valait mieux que je ne m’arrête pas à Lyon car les Allemands étaient partout. Il m’a conseillé d’aller jusqu’à Ambérieux puis de prendre le tacot qui allait à La Cluse, ce qui serait plus facile pour rentrer chez mes parents.

Après réflexion, il m’a dit de me mettre dans le wagon de queue qui était un wagon à bestiaux. Je suis monté et je me suis planqué dans un tas de cartons. Le train est parti, et le voyage s’est bien passé.

Arrivé à Ambérieux je suis sorti du wagon après avoir attendu que quatre soldats allemands descendent du train. Par les interstices des planches des parois du wagon je les avais vus monter à Lyon.

J’ai rejoint le quai où se trouvait le tacot. Au moment de monter, je me suis aperçu que les mêmes soldats allemands le prenaient également.

Je me suis placé discrètement au fond du wagon alors qu’eux occupaient les places de devant.

Une fois à La Cluse, les Allemands sont entrés au buffet de la gare. J’ai pu alors sortir du train et je suis parti à pied par la route en direction d’Oyonnax.

Au bout d’un moment, un camion s’est arrêté à ma hauteur et le conducteur m’a demandé où j’allais.

C’était un fromager d’Oyonnax, je crois qu’il s’appelait Godet.

Il m’a fait monter et on a discuté. Je lui ai dit que je me sauvais des chantiers de jeunesse.

Il m’a déposé à la sortie d’Oyonnax après avoir pris des petites routes qui contournaient la ville, car avec mes habits et mon sac à dos on m’aurait repéré trop facilement.

J’ai ensuite repris la marche à pied jusqu’à Uffel.

Mes parents étaient étonnés de me voir.

Après avoir expliqué que je m’étais sauvé des chantiers de jeunesse, mon père m’a demandé de ne pas trop me montrer dans le village ou à Chancia, car il y avait des gens qui dénonçaient les réfractaires et les maquisards aux Allemands de peur que ceux-ci, en représaille, ne s’en prennent à tout le village.

J’ai donc suivi les conseils de mon père et suis allé me cacher dans les bois derrière Uffel pendant quelques jours.

 

*A partir du 4 septembre 1942, le gouvernement de Vichy ne fait plus appel à des volontaires pour aller travailler en Allemagne, mais impose le Service du Travail Obligatoire (STO) c’est-à-dire un recrutement systématique par mobilisation pure et simple de trois classes d’âge. Ainsi, la loi du 16 février 1943 mobilise pour deux ans les jeunes nés entre le 1er janvier 1920 et le 31 décembre 1922. Trois classes d’âge doivent ainsi partir en Allemagne.